Tu sais, le soir tombe, et je suis toute seule ici. Tu sais, je marche la tête haute mais au fond, j'veux qu'une seule chose, c'est mettre les voiles, partir loin avec ma guitare, mes rêves et toi. Je sais pas, on pourrait s'en aller loin ensemble, casser tout ça, leur montrer a tous qu'on a pas besoins d'eux, pas besoins des autres pour exister. Mais pour ça, moi, j'ai besoin de toi et t'es pas là. Je trouve plus le bras auquel je me raccrochais quant il m'arrivait de tomber, je trouve plus l'épaule sur laquelle pleurer, je trouve plus les notes sur lesquelles accorder ma gratte.

Je marchais d'un pas lent et nostalgique dans les couloirs déserts de l’académie. A cette heure-ci, tous les élèves étaient entrain de retrouver leurs chambres pour dormir. Je passais la tête derrière la porte des douches pour voir si ces dernières étaient occupées. A première vue, non. Tant mieux. J'entrais dans la grande salle de bain qui contenait une dizaine de douches et autant lavabos. Il faisait sombre ici, et une simple petite fenêtre teinté projetait sur l'espace une lumière grisâtre produite par le ciel qui commençait à s'assombrir.

*'Tain ! On se croirait dans Saw...* Pensais-je en balayant l'espace du regard.

Je ne sais pas pourquoi je ne pensais pas a cet instant a tout simplement allumer la lumière. De toute façon, entre la lumière grise du soir et la blanche des néons a choisir, je ne vois pas vraiment de différence...Je m'approchais d'un lavabo, m'appuyais en soupirant contre se dernier et levait les yeux pour contempler mon reflet dans le miroir. Quelle mine ! C'est drôle comme j'avais un air éteint. J'avais mis aujourd'hui un tee-shirt rayé qui retombait et laissait totalement découvertes mes épaules avec un short en jean légèrement déchiré. Cet accoutrement m'avait valu les remarques de quelques profs soulignant que ce n'était pas approprié pour leur cour. Mais de quoi ils se mêlent eux ? Laissez moi vivre un peu. Ils espéraient quoi au juste ? Que je me mette a mettre des petites jupes plissées ? Ah ah vraiment, ils ne me connaissent pas, personne ne me connaît et je ne demande pas a être connue.

Je fermais les yeux un instant et décidais de me laisser glisser au bas du mur. Ici, j'étais tranquille. Mon regard se dirigea tout naturellement vers la lucarne de la quelle on pouvait apercevoir la silhouette floue de la lune. Oserais-je ? Et puis merde ! J'me casse. Je me levais et ouvrais la fenêtre sur la pointe de pieds car cette dernière était tout de même placée à une hauteur assez éloignée du sol. En passant, je trouvais ça étrange de mettre une fenêtre, même teinté, dans des douches. Je reculais de quelques pas et prenais un petit élan pour attraper le bord de la fenêtre et me hisser à bout de bras vers le haut. Soudain, j'entendis des pas dans mon dos, sous l'effet de la surprise, je lâchais prise et tombais sur le carrelage de la salle de bain.

Je ne savais pas si les pas provenaient de l’extérieur ou de l’intérieur de la salle d'eau. Dans tout les cas je n'étais pas vraiment a ma place ici. Si ils venaient de l’intérieur j'imaginais très bien la personne sortir de sa douche et me trouver là dans l'obscurité passant ainsi pour un folle perverse. Mais si ils venaient de l’extérieur j'aurais sans doute droit a un interrogatoire sur ce que je venais faire ici a cette heure là. Enfin, je ne savais pas non plus sur qui je pouvais tomber, oui, perso, je me voyais mal me retrouver face à un élève aux idées tordues en pleine nuit dans une salle de bain, même en tombant sur Brad Pitt, ça me tentait moyen. Je me relevais, soupirais et croisais les bras tout en attendant que l'inconnu se montre. La seule chose que j’espérais était que ce ne soit pas un prof, pour le reste, je m'en chargerais bien toute seule.

L'atmosphère se fit pesante tandis que j'observais une ombre noire s'approcher de moi. J'hésitais entre lui sauter dessus et la neutraliser directement ou attendre que l'ombre s'avance a la lumière de la lune. Finalement, j'optais pour la deuxième solution pensant que je n'avais aucune envie de me coller une étiquette de grosse brute sur le front. Une jambe sortit bientôt de l'obscurité et tout le reste du corps suivit. Je me trouvais face a un garçon pale aux yeux vairons, le pauvre, n'avait pas l'air dans son assiette. Je plongeais mes yeux gris dans les siens bicolores et reconnu aussitôt de qui il s'agissait. Ce garçon, je l'avais déjà rencontré, le jour de mon arrivée dans ce pensionnat, sa chienne était venue me baver dessus et c'est ainsi que la conversation s'était entamée entre Haruka, lui et moi. Kazuho me sourit puis s'affaissa contre le mur. Sans vraiment me l'avouer j'étais un peu soulagée de connaître l'individu qui se présentait a moi. Cela m'évitait au moins de flipper par rapport à ça. Au passage, il faudrait peut-être que je songe sérieusement a arrêter de regarder trop de films, apparemment ça n'me réussit pas.

Je lui rendit son sourire et soufflait un coup avant de m’asseoir contre le mur, à l'opposé de lui. Non franchement, en le regardant mieux, on voyait clairement qu'il n'allait pas bien.

-Comment ça va Evane depuis la dernière fois ? Me demanda-t-il.

En voyant sa tête, c'était plutôt a moi de lui poser cette question mais je lui répondis. De toute façon, je lui donnerais sans doute la réponse standard, vous savez, la réponse que tout le monde attend après un « ça va » un réponse simple, automatique.

-Bien merci, lui répondis-je en souriant que voulait-il que je lui réponde d'autre ? Tu m'as fais une de ces peur !

Je le dévisageais un nouvelle fois puis je finis tout de même par me lever et aller vers lui. Sans lui demander son avis je posais ma main sur son front pour voir s'il avait de la fièvre. A première vue, rien d'alarmant quoi que je ne fus jamais très bonne en ce qui concerne la prise de température par la main.

-Toi par contre, t'as pas l'air d'aller fort...t'es tout pale. Allez assieds-toi, tu devrais te reposer. Au fait qu'est-ce qui t’emmène ici si c'est pas indiscret ? Vu ta tête tu devrais rester couché.

Je posais ma main sur une de ses épaules et exerçais une pression pour le faire venir s’asseoir. Je le regardais d'un air rieur et déclarais pour détendre l’atmosphère

- Si t'étais venu m'épier dans l'espoir que je prenne ma douche, pas de chance j'étais pas là pour ça.

-Disons que je suis ici par accident. Ce n'était pas mon attention. Je me baladais dans les couloirs et je me suis senti mal. Les douches étaient éclairés, j'y suis donc allé.

Cette réponse me suffisait amplement et je n'avais aucunement l'intention de creuser plus que ça. Il ajouta rapidement qu'il allait mieux, chose que sur le coup j'eus plus de mal a croire, enfin, tant qu'il ne me tombait pas inconscient sur les pompes, ça allait. Toujours assise contre le mur je baissais les yeux et repartais dans de troubles rêveries, a vrai dire, je ne savais pas vraiment a quoi je pensais, les idées filaient et moi je ne prenais pas la peine de les arrêter. Sans savoir pourquoi, quand je pensais de la sorte, une tonne de sentiments vagues me montaient a la tête, mais le sentiment de tristesse prédominait toujours les autres émotions. Que ça peut-être lassant à la longue. Je ramenais mes genoux vers moi et y plongeais ma tête.

Je somnolais dans de sombres pensées quand la voix de Kazuho me tira de cet état second. Il s'était levé et me dévisageait bizarrement. Ben quoi ? Qu'est-ce qu'il a ? J'ai une truc sur le visage ? Il me demanda ce que moi je venais faire ici. Ah. Il fallait bien qu'elle vienne cette question. Il voulait quoi au juste ? En quoi ça l'intéressait ce que je venais faire ici ? Je fronçais les sourcils et détournais les yeux. Je n'avais rien a dire a ce sujet. J'allais juste faire une connerie, comme d'habitude, de toute façon, je ne sais faire que ça, je ne sais vivre que comme ça.

-Tu voulais partir, c'est ça ?

Je soupirai. Bon apparemment, il voulait une réponse. J'étendis mes jambes, croisai les bras derrière ma tête, m'adossai contre le mur puis je plantai mon regard dans le sien. Je n'avais jamais eus peur de regarder quelqu'un dans les yeux avec insistance. Je fis un sourire en coin et commençais a parler.

-Partir, partir, tout de suite les grands mots ! Et tu voudrais que j'aille où petit malin ? Faire la manche dans la ville voisine ? Waouh ! L'avenir de fou ! Non, et puis sérieusement si j'avais du partir, j'aurais au moins pris ma guitare. Dis toi simplement que je voulais prendre l'air, lui lançais-je en lui faisans un clin d’œil, Et puis...Tu sais, vivre entre quatre murs, j'crois pas que ce soit pour moi, ah ah j'ai du être un oiseau ou un truc du genre dans une autre vie !

Je me levai, m'étirai et me dirigeai vers un lavabo, la soif me tiraillait ou peut-être voulais-je simplement trouver le moyen d'achever mon monologue. Quoiqu'il en soit, le long jet d'eau qui coulait dans la porcelaine jetait sur l'espace un bruit plus frustrant qu'autre chose, je me penchai, bus quelques gorgées et relevai la tête tout en essuyant le coin de ma bouche avec ma manche. Je regardais Kazuho qui me regardait avec un air bizarre, je finis par m'approcher de lui et lui poser ma main sur l’épaule.

-Allez, t'inquiètes je vais bien j'ai pas besoin qu'on s'occupe de moi. J'ai pas 3 ans...et y a pas marqué ange gardien sur ton front ajoutais-je dans un petit rire avant de m'asseoir sur le bord de l'évier

Après ma dernière réplique, Kazu semblait assez septique. S'il fallait que je vous fasse un schéma de la pièce en ce moment même je le présenterais de la sorte : Un salle de bain a peine éclairée pas la lune, une fille sur un lavabo et un garçon planté droit comme un piquet au milieu de la pièce tout deux se regardant de façon intense. Ça devient une habitude ou quoi ? Ces longs silences ou nous nous fixions, j'avais l'impression qu'il m'inspectait sous toutes mes coutures comme on regarderais un vêtement histoire de trouver l'arnaque, le défaut de fabrication. Kazuho finit par bouger pour aller s’asseoir contre des douches, je souri à la vue du sourire satisfait qu'il affichait a ce moment là. Décidément, lui, il lui en faut peu pour être heureux.

Bon, maintenant c'était a mon tour de le décortiquer du regard, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait que lui qui pourrait faire ça. Hmm, c'est vrai qu'il avait meilleure mine que tout a l'heure, hé hé aurais-je des dons de guérisseuse ? Bon, ok, j'me tais. Il était habillé d'un T-shirt blanc et d'un jean, un look qui avait été fait un peu à l'arrache mais que j'aimais pourtant bien. Les costards-cravates, non, vraiment ce n'était pas mon style, pas plus que les belle robes et les rubans, le jean-baskets me convient beaucoup mieux.

Je poursuivais mon inspection détaillée quand j'arrivai enfin au niveau de ses yeux, ses yeux si particuliers, ses yeux vairons. Il avait vraiment un regard captivant. Ce sont ses yeux, justement qui me tirèrent de ma « rêverie » car il arboraient une lueur d'amusement qui qui se renforçait d'autant plus avec le léger sourire qui était collé sur son visage. Et bien ? Qu'est-ce qui lui prend ? Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? Je le regardai sans comprendre et passai ma main dans mes cheveux pour m'assurer que je n'avais pas un épi ou un truc du genre qui me rende totalement ridicule. Non rien de tout ça. Sans savoir pourquoi, une vague de nostalgie m'envahit et me fis tout naturellement diriger mon regard vers la fenêtre. Je soupirai. Ces derniers temps, je pus remarquer qui ma vie s'était remplie de soupirs, comme pour combler un vide.

-Tu voudrais qu'on aille en ville ensemble ? Me demanda Kazuho

Je tournai vivement la tête en sa direction, sautai de l’évier et allai vers lui, sans le savoir il venait de prononcer un espèce de mot magique, un genre de « césam ouvres-toi » ou je ne sais quoi encore. Le fait est que ça avait fait tilt dans mon cœur. Je me penchais vers lui et le regardai droit dans les yeux.

-T'es sérieux ? Là maintenant ? Mmh...j'peux pas t’entraîner dans mes conneries, moi j'en fais tout le temps alors c'est pas gênant...Mais si t'es sur de vouloir venir, moi j'pense qu'il faut vivre, et je pense aussi que vivre c'est pas rester planté les nez dans les bouquins, alors si tu veux bien que je t’emmène, j'en serais ravie ! En plus, je crois que ce soir y a un marché de nuit, ce sera calé y aura du monde, on trouvera sans doute un bar avec terrasse pour boire un coup et puis y aura sûrement des groupes qui joueront de la musique ! Tu vois, pour moi, c'est ça la vie.

Il devait sans doute penser que j'étais cinglée, qu'il fallait qu'il s'échappe vite de ces douches mais c'était mon point de vue, ma manière de penser. De plus, nous aurions toujours le prétexte d'être nouveaux, de ne pas savoir. De toute façon, qui dit que nous seront découverts ? Je me redressai, regardais Kazuho et lui tendis la main en souriant.

-Alors ? Tu veux venir ou pas ?